Dominique est chanceux. A 28 ans, il vient de décrocher un CDD dans la PME située à deux pas de chez lui. Une boîte de fabrication de pièces pour automobiles où il peut exercer ses talents de fraiseur. Un CDD… de cinq ans, qu’il s’est empressé de signer. Fini, la durée maximale de 18 ou 24 mois pour les contrats à durée déterminée : la branche de la métallurgie a décidé de profiter à fond de la nouvelle loi réformant le code du travail, et de choisir la durée maximale autorisée par la jurisprudence européenne, dernier rempart, désormais, dans ce domaine.

Son patron a aussi indiqué à Dominique que son CDD pourrait éventuellement être renouvelé plusieurs fois, avec un délai de carence réduit au minimum. Et tant pis si la banque lui a refusé son prêt immobilier pour manque de visibilité sur son avenir professionnel.

Supprimer le 13e mois

Deux ans plus tard, comme Dominique travaille bien, son employeur le convainc de rompre d’un commun accord son CDD et d’accepter un CDI. Un CDI «d’opération». Car là aussi, la branche a utilisé pleinement la nouvelle législation en instaurant des CDI «de chantier ou d’opération», dont la rupture intervient avec la fin des tâches prédéfinies dans le contrat. Pour Dominique, il s’agit de la mise en place des trois nouveaux robots fraîchement arrivés d’Allemagne. Une fois ceux-ci installés, le CDI s’éteindra de plein droit. Dominique est un peu déçu mais la rémunération continue de le motiver : il touche une prime de vacances et un 13e mois – les partenaires sociaux de la branche de la métallurgie viennent de l’adopter.

Sauf que les temps sont durs. Peugeot menace de faire une croix sur les commandes, et les comptes risquent de virer au rouge. Pas très difficile, dans ces conditions, de persuader les élus du personnel de signer un accord supprimant à la fois le 13e mois et la prime. Une pratique permise par le nouveau code du travail, qui a exclu du domaine de la branche la plupart des thématiques qu’elle pouvait traiter et imposer à toutes les entreprises de son champ, avant la réforme. Dont les primes (hors travaux dangereux) et le 13e mois.

S’aligner sur les autres

Dominique est quand même heureux. Son salaire, 1 400 euros net par mois, est bien au-dessus du smic. Son secteur industriel paie toujours mieux que le bâtiment ou les services. Sauf que cette fois, c’est presque sûr, l’a prévenu son patron, ses concurrents sont allés plus loin dans les souplesses accordées par la nouvelle législation : Peugeot est à deux doigts de rompre son contrat avec la PME, qui représente presque 30 % du chiffre d’affaires. Pas le choix, il faut s’aligner sur les autres, au risque, sinon, de perdre un des plus gros clients.

Mais le chef d’entreprise se rassure vite : la nouvelle loi permet de négocier de nouveaux accords de compétitivité, où tout ou presque est permis. Fini les garanties de l’ancien monde qui prévoyaient notamment que le salaire ne pouvait pas baisser. Pour «répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise», ou (au choix) pour «préserver ou développer l’emploi», son patron a proposé aux salariés un accord qui réduira la rémunération de Dominique au niveau du minimum conventionnel, soit 230 euros de baisse mensuelle. Et qui l’oblige également à travailler en horaires décalés. L’accord a convaincu d’autant plus facilement les salariés que c’est Philippe, le délégué du personnel, proche du patron c’est vrai, qui a négocié. Les choses ont bien changé depuis le dernier accord, quand la CGT avait mandaté un salarié et suivi de près les négociations, comme l’imposait l’ancien code du travail. Avec la nouvelle loi, plus besoin de syndicat dans les entreprises de moins de 50 salariés pour négocier et signer un accord.

Nouveau barème aux prud’hommes

Dominique reste néanmoins (encore un peu) optimiste. Il a toujours son boulot. Et depuis huit mois qu’il bosse en CDI («d’opération»), il a déjà installé deux robots. Ne reste plus que le troisième à mettre en place. Sauf que… Dominique ne comprend pas, il vient de recevoir une lettre qui lui annonce la fin de son contrat. «Et le troisième robot ?» s’insurge-t-il.

Il se plaint auprès de son collègue Antoine, dans les vestiaires : «C’est totalement injustifié !» Antoine est sympa et lui livre les dernières rumeurs qui circulent : le patron aimerait bien embaucher son petit-neveu. Et il a les compétences parfaites pour le poste… de Dominique. «Mais chut, tu ne dis rien», lui demande Antoine. Cette fois-ci, c’en est trop pour Dominique : «Un CDD de cinq ans puis un CDI d’opération, la prime de vacances et le 13mois supprimés puis la baisse de salaire de 230 euros par mois. Et maintenant un licenciement injustifié ?» Comme Dominique n’est pas du genre à se laisser faire, il va saisir les prud’hommes. Sûr, il va arracher un beau pactole à son patron pour cette injustice.

Quelques mois plus tard, quand les juges des prud’hommes lui expliquent, il ne veut pas y croire : oui, ils savent que c’est le petit-neveu qui a été embauché. Et oui, ils auraient voulu sanctionner le patron. Mais Dominique ne pourra pas toucher plus de trois mois de salaire en compensation. C’est le nouveau barème qui veut cela : avec trente-deux mois de présence dans la boîte, et même si le licenciement est irrégulier, il ne peut pas toucher plus de trois mois de salaire brut d’indemnités.

Quelques mois plus tard, Dominique n’est plus seul : le patron a licencié un tiers des salariés de la boîte. L’entreprise allait mal, paraît-il. «Même si elle faisait partie d’un groupe international qui pétait le feu ?»demande Dominique à Antoine, au chômage lui aussi. Antoine ne sait pas trop quoi répondre. Mais en allant aux prud’hommes, les juges leur disent qu’ils n’ont plus le pouvoir, avec la nouvelle loi, de juger des difficultés économiques au niveau du groupe. Seulement de la France. Dominique et Antoine attendent désormais avec impatience la réforme à venir de l’assurance chômage, prochain dossier social au menu du gouvernement.